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Article de fond

La nation québécoise, un fantôme constitutionnel

Langue et nation sont intimement reliés. Parler, c'est un exercice collectif, pas seulement individuel. La langue de la majorité au Québec est le français. Est ce que le Québec constitue une société distincte ou nation reconnue au Canada, avec le pouvoir de promouvoir sa langue? 

Pour répondre, nous regardons successivement la confédération de 1867, le rapatriement de 1982, l'accord du Lac Meech de 1987, des résolutions du Parlement de 1995 et 2006, le jugement de la cour suprême sur la sécession du Québec de 1998, et une loi de l'Assemblée nationale du Québec de 2022.

Avertissement: la réponse est peu encourageante.

Confédération de 1867

La constitution de 1867 (sur le site canadien en anglais; version française non-officielle), officiellement le British North-America Act,1867 ne contient aucune disposition reconnaissant le Québec comme nation, peuple ou société distincte.

La Constitution canadienne d'origine de 1867 accorde au Québec et aux autres provinces des pouvoirs, mais n'accorde aucun pouvoir au Québec comme nation ou société distincte de promouvoir le français . Plutôt, c'est le contraire. Non seulement on ne reconnait pas le Québec comme une société distincte ou une nation, mais on impose surtout des limitations sur le Québec pour protéger les minorités linguistiques ou confessionnelles contre cette société ou nation fantôme qu'on refuse de reconnaitre.

Des exemples:

  • le Québec est la seule province en 1867 qui doit publier ses lois en anglais et français. Elle doit publier ses lois non seulement en français, langue de la majorité au Québec, mais elle doit également les publier dans la langue de la minorité linguistique, l'anglais (art. 133). Les autre provinces ne sont pas assujetties à une obligation similaire.;
  • la minorité protestante au Québec (presque exclusivement anglophone) a droit à ses propres écoles (article 93). Aucune disposition similaire n'était prévue pour le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse (malgré la présence d'acadiens), et l'obligation similaire en Ontario visait les catholiques, qui étaient presque tous anglophones (Irlandais pour la plupart) et non des francophones.
  • Québec, mais pas l'Ontario, devait avoir un conseil législatif dont les membres sont nommés par le lieutenant-gouverneur, lui-même nommé par le fédéral (article 71)
  • les comtés électorales au Québec ayant historiquement un nombre important d’anglophones recevaient une protection spéciale (articles 72, 80)
  • le pouvoir de créer des nouveaux cantons, forme de peuplement historiquement favorisés par les protestants, était explicitement autorisée, même post-confédération (article 144)
  • pour empêcher toute possibilité d'un véto par le Québec, le parlement fédéral, ensemble avec les provinces autres que le Québec, sont explicitement accordés le pouvoir d'adopter des lois uniformes (article 94). Aucune disposition inverse n'est prévue.

Rapatriement et charte des droits de 1982

Le parlement du Royaume-Uni, à la demande du parlement canadien, a adopté la Charte canadienne des droits et libertés , comme partie de la constitution de 1982.

La Charte a maintenu l'approche de 1867 , c'est à dire la non- reconnaissance du Québec (ou des québécois) comme nation, peuple ou société distincte. Et encore comme en 1867, la Charte impose des limitations sur le Québec pour protéger les minorités linguistiques ou confessionnelles contre cette société ou nation fantôme qu'on refuse de reconnaitre.

Ainsi, la Charte:

  • autorise un système scolaire public ségrégué linguistiquement au Québec. Ainsi, la minorité anglophone au Québec est accordée le droit à ses
    écoles (art. 23 de la Charte).
    23 (1) Les citoyens canadiens : a) dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident, b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province,
  • mais aucun droit équivalent n’est prévu pour des écoles francophones au Québec. En d'autres mots, il n'y a aucun droit constitutionnel garantissant aux francophones le droit de fréquenter l'école française au Québec. Concrètement, si le Québec cessait d'avoir une majorité francophone, la survie du système francophone n'est pas garantie.

En matières linguistiques, le gouvernement Trudeau au moment du rapatriement a imposé l'article 23 au Québec malgré le refus de ce dernier. Mais Trudeau a décidé de ne pas imposer au gouvernement William Davis de l’Ontario l'article 133 de la constitution (en fait, de l'Acte de l’Amérique du Nord Britannique) qui oblige depuis 1867 le Québec de publier ses lois en anglais et en français. Pourquoi? Parce que il était inimaginable pour Trudeau de se passer de l’Ontario pour procéder au rapatriement. Le consentement de la nation fantôme du Québec ne faisait pas le même poids. Vu l'importance de cette question, nous consacrerons un texte séparé sur cette seule question de l'article 133.

Confédération de 1867 revisitée en 1998

Finalement, 131 ans après la Confédération, en 1998, après le rapatriement unilatéral (y compris la non-reconnaissance par la Cour suprême du Canada d'un véto par le Québec), l'échec de l'accord du Lac Meech et la tenue de deux référendums au Québec pour quitter le Canada, la Cour suprême du Canada a finalement décidé comme suit dans un renvoi constitutionel:

-1 La loi anglaise créant la confédération créait une seule et même nation, et implicitement la Cour niait le statut de nation au Québec:

Le partage des pouvoirs entre le fédéral et les provinces était une reconnaissance juridique de la diversité des premiers membres de la Confédération, et il témoignait du souci de respecter cette diversité au sein d'une seule et même nation en accordant d'importants pouvoirs aux gouvernements provinciaux. (article 43)

-2 La cour a décrit les québécois comme un simple groupe parmi d'autres au Canada, et a refusé de reconnaitre les québécois comme peuple.

125. Même si la majeure partie de la population du Québec partage bon nombre des traits (par exemple une langue et une culture communes) pris en considération pour déterminer si un groupe donné est un «peuple», à l'instar d'autres groupes à l'intérieur du Québec et du Canada, il n'est pas nécessaire d'étudier cette qualification juridique pour répondre de façon appropriée à la question 2. De même, il n'est pas nécessaire pour la Cour de déterminer si, à supposer qu'il existe un peuple québécois au sens du droit international, ce peuple englobe la population entière de la province ou seulement une partie de celle‑ci. (art. 125)

- 3 La cour a tout au plus reconnu que le Québec s'était joint à la Confédération avec une majorité francophone avec la motivation et le pouvoir politique pour faire la promotion de la langue et la culture de la majorité:

59. Le principe du fédéralisme facilite la poursuite d'objectifs collectifs par des minorités culturelles ou linguistiques qui constituent la majorité dans une province donnée. C'est le cas au Québec, où la majorité de la population est francophone et qui possède une culture distincte. Ce n'est pas le simple fruit du hasard. La réalité sociale et démographique du Québec explique son existence comme entité politique et a constitué, en fait, une des raisons essentielles de la création d'une structure fédérale pour l'union canadienne en 1867. Tant pour le Canada‑Est que pour le Canada‑Ouest, l'expérience de l'Acte d'Union, 1840 (R.‑U.), 3‑4 Vict., ch. 35, avait été insatisfaisante. La structure fédérale adoptée à l'époque de la Confédération a permis aux Canadiens de langue française de former la majorité numérique de la population de la province du Québec, et d'exercer ainsi les pouvoirs provinciaux considérables que conférait la Loi constitutionnelle de 1867 de façon à promouvoir leur langue et leur culture. Elle garantissait également une certaine représentation au Parlement fédéral lui‑même.

Source: Renvoi relatif à la sécession [1998] 2 RCS 217.

C'était peux, mais pas rien, car cela confirmait implicitement que le Québec jouissait du mandat et, sujet aux autres dispositions de la constitution, le pouvoir de promouvoir la culture et la langue de la majorité au Québec. Ce principe a été cité par la Cour d'appel du Québec dans la décision Entreprises W.F.H. Ltée c. Québec (Procureure Générale du), 2001 CanLII 17598 (QC CA) pour justifier la prédominance du français dans l'affichage.

L'accord du Meech

L’accord du Lac Meech de 1987, qui devait compenser pour le rapatriement unilatéral de la constitution, avait reconnu le Québec comme société distincte:

2.(1) Toute interprétation de la Constitution du Canada doit concorder avec :

  1. la reconnaissance de ce que l'existence de Canadiens d'expression française, concentrés au Québec mais présents aussi dans le reste du pays, et de Canadiens d'expression anglaise, concentrés dans le reste du pays mais aussi présents au Québec, constitue une caractéristique fondamentale du Canada;
  2. la reconnaissance de ce que le Québec forme au sein du Canada une société distincte.

Cependant, l'accord n'a jamais été approuvé par l’ensemble des autres provinces et n’a jamais pris effet. Ironiquement, la proportion de la population canadienne représentée par les provinces (Manitoba et Terre-Neuve) qui ont refusé Meech était beaucoup moins que la proportion de la population canadienne représentée par le Québec qui a refusé le rapatriement. Mais le recours à l’ancien pouvoir colonial a permis de dire non au Québec et procéder au rapatriement.

Résolutions parlementaires de 1995 et de 2006

Suite à la défaite de l'Accord du Lac Meech, la Chambre des communes du parlement canadien, à l'initiative du premier ministre Jean Chrétien, a fait adopté en 1995 une résolution reconnaissant le Québec comme une société distincte:

Attendu que le peuple du Québec a exprimé le désir de voir reconnaître la société distincte qu'il forme,
(1) la Chambre reconnaisse que le Québec forme, au sein du Canada, une société distincte;
(2) la Chambre reconnaisse que la société distincte comprend notamment une majorité d'expression française, une culture qui est unique et une tradition de droit civil;
(3) la Chambre s'engage à se laisser guider par cette réalité;
(4) la Chambre incite tous les organismes des pouvoirs législatif et exécutif du gouvernement à prendre note de cette reconnaissance et à se comporter en conséquence.

Source: Résolution reconnaissant le Québec comme une société distincte (voir texte proposé le 29 11 1995 Journal Hansard de la Chambre des communes 16971) et adopté le 11 12 1995 Journal Hansard de la Chambre des communes (17536)

Presque 10 ans plus tard, la Chambre des communes du parlement canadien, à l'initiative du premier ministre Stephen Harper, a adopté le 22 novembre 2006 une nouvelle résolution (voir Résolution reconnaissant les québécois comme une nation 27 11 2006 Journal Hansard de la Chambre des communes) reconnaissant les québécois comme une nation.

Que cette Chambre reconnaisse que les Québécoises et les Québécois forment une nation au sein d'un Canada uni.

Cependant, cela ne signifie pas que les québécois, ou le Québec, disposent en vertu de la constitution de pouvoirs législatifs pour protéger ou promouvoir la nation québécoise, et notamment la langue qui le distingue, le français. Les résolutions de 1995 et de 2006 sont plutôt symboliques, sans effet juridiques exécutoires.

Loi sur la langue officielle et commune du Québec

Le Québec a tenté de corriger en partie cette non-reconnaissance du Québec en 2022.

L'article 166 de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (2022 SQ chp. 14) stipule que les Québécoises et les Québécois forment une nation avec le français comme langue commune. Cette loi insère dans la constitution du Québec un nouvel article à cet effet:

166. La Loi constitutionnelle de 1867 (30-31 Vict., ch. 3 (R.-U.); 1982, ch. 11 (R.-U.)) est modifiée par l’insertion, après l’article 90, de ce qui suit :
« CARACTÉRISTIQUES FONDAMENTALES DU QUÉBEC
« 90Q.1. Les Québécoises et les Québécois forment une nation.
« 90Q.2. Le français est la seule langue officielle du Québec. Il est aussi la langue commune de la nation québécoise. »
.

Cette insertion dans la constitution du Québec se fait en vertu d'une disposition de la Constitution,1982:

Modification par les législatures 45 Sous réserve de l’article 41, une législature a compétence exclusive pour modifier la constitution de sa province.

Puisqu'il s'agit d'une loi provinciale, sa portée ne s'étend pas au delà des champs de compétences du Québec.

Conclusion

Depuis 1867, le parlement anglais, le parlement fédéral et la cour suprême du Canada n'ont jamais reconnu, que le Québec constitue un peuple, une société distincte ou une nation au Canada, exception faites de résolutions parlementaires sans effet juridiques exécutoires. Mais inversement, cette nation fantôme se voit imposé des restrictions ou des obligations distinctes. La Cour suprême a attendu 131 ans avant de reconnaitre explicitement que le Québec s'était joint à la Confédération avec une majorité francophone avec la motivation et le pouvoir politique pour faire la promotion de la langue et la culture de la majorité, et il n'y a aucune assurance que la cour ne pourrait pas un jour changer d'idée. Chaque décision de la cour reconnaissant des droits à la minorité anglophone affaiblit le pouvoir du Québec de promouvoir le français.

Deux conclusions:

  1. La reconnaissance légale/juridique du pouvoir politique du Québec de faire la promotion de la langue et la culture de la majorité tient à un fil; et
  2. Le fantôme de la nation du Québec hante toujours le Canada, qui continue de chercher des façons nouvelles de limiter ses pouvoirs en matières linguistiques.

Documents, liens, images et vidéos utiles

adopté en anglais en 1867 (Voir AABN Texte de loi British North America Act 1867 UK parliament https://www.legislation.gov.uk/ukpga/Vict/30-31/3/contents/enacted/data.pdf) et traduit en 1868 (Voir AABN BNAA 1867 -version française 28 2 2023 Gouvernement du Canada https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/sjc-csj/constitution/loireg-lawreg/p1t11.html)

Résolution reconnaissant les québécois comme une nation 27 11 2006 Journal Hansard de la Chambre des commune https://www.noscommunes.ca/DocumentViewer/fr/39-1/chambre/seance-87/journaux

AABN Texte de loi British North America Act 1867 UK parliament https://www.legislation.gov.uk/ukpga/Vict/30-31/3/contents/enacted/data.pdf

Accord du Lac Meech 1987 Gouvernements du Canada et des 10 province https://www.canada.ca/fr/affaires-intergouvernementales/services/federation/accord-constitutionel-1987.html

Charte canadienne des droits et libertés https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/const/page-12.html

Mots-clés

  • Nation,
  • Constitution,
  • Constitution (loi de 1982),
  • langue,
  • Confedération,
  • Rapatriement,
  • Accord du Lac Meech,
  • Acte de l'Amérique Britannique du Nord,
  • Charte canadienne des droits et libertés,
  • Charte canadenne Art. 23,
  • Constitution (loi de 1867) art. 133,
  • Renvoi constitutionnel -véto du Québec,
  • Renvoi constitutionnel- sécession,
  • Langue commune,
  • Constitution (Law of 1982),
  • language,
  • patriation,
  • charter of rights and freedoms,
  • Canadian charter section 23,
  • Constitution (law of 1867),
  • Quebec vetoe reference,
  • Secession reference- SCC,
  • common language,
  • charte canadienne des droits,
  • Meech lake accord,
  • BNAA section 133,
  • AABN Article 133

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